mercredi 28 novembre 2012

Colin Stetson, l'épaisseur du son


Colin Stetson est américain, il vit au Québec, il est compositeur, multiinstrumentiste et plus particulièrement saxophoniste. Il a composé deux albums solo depuis 2008.
Il explore les limites de l’instrument, en recherchant des sons imparfaits ou dissonants. Il pratique une technique de souffle circulaire qui lui permet de libérer des sons en continu. Il crie et chante tout en soufflant dans son saxophone. Frappant bruyamment les touches de l’instrument, il ajoute une rythmique à la mélodie.

Sa musique est l’objet d’une véritable performance physique. Le corps tout entier est sollicité jusqu’à ces limites : le souffle, la voix, la mobilité des doigts, les mouvements de balancier de tout le corps, lancinants et compulsifs, qu’il effectue tout au long du morceau.
La musique n’est pas ici le fruit d’une mise en forme élaborée du son ou d’une pratique instrumentale experte, mais plutôt le résultat, l’expression brute, d’un état du corps. Elle est primitive, sauvage, puissante et incroyablement virile.

Ce corps performant convoque l’empathie et l’identification du public. Chacun peut projeter dans son propre corps les efforts, l’énergie nécessaire, la peine mais aussi les effets libératoires du corps qui s’exprime, s’extériorise, se déverse dans l’instrument.

Le souffle apparait comme une puissance contenue et contrainte par l’instrument, qui le comprime, le conduit, le tort, puis le révèle, lui permettant de se former en son.
Le corps ainsi se diffuse, s’expanse, se répand dans l’instrument, dans le son, puis l’espace, les imbibant d’une vibration, d’une consistance, leur léguant momentanément une forme.
Puis la musique s’arrête, le corps revient à ses limites, ramassé, compact, central à l’espace de la scène, dans l’écart circonscrit par les mouvements de balancier, marquant un point avant et un point arrière de part et d’autre du corps. Il aspire et reprend, à l’espace autour, la matérialité qu’il lui avait prêtée. Le corps est dense, l’air est léger.
Si la musique reprend, le corps se répandra de nouveau, raffermissant l’espace.
La musique de Colin Stetson met en œuvre ce mouvement répétitif d’aller et retour, comme une expiration puis une inspiration, dispersant puis concentrant successivement son corps.

Sa musique n’est ni abstraite, ni figurative, elle est une présence pure.
Parce qu’elle nous rencontre physiquement, elle est incroyablement émouvante, au sens originel du terme.

Texte de



Le site de Colin Stetson