samedi 30 novembre 2013

Couvrir à en perdre haleine

J’ai découvert ces derniers jours à La Criée, centre d’art contemporain à Rennes, le film « Courir Niemeyer », de Jan Kopp, conçu dans le cadre du projet collectif « Suspended spaces ».
L’artiste est filmé, par le vidéaste Marcel Dinahet, courant sur le site de la foire internationale de Tripoli au Liban, conçu par l’architecte Oscar Niemeyer entre 1968 et 1974 et aujourd’hui inachevé à cause de la guerre.


L’artiste arpente ce site de long en large, en courant, au hasard des lignes de force que dessine l’architecture du site, rasant un muret, descendant un escalier, longeant la courbe de la coupole, bordant un terre-plein, puis changeant de trajectoire, de manière arbitraire.
L’objectif de cette course semble être d’encercler, de recouvrir le site, de marquer de la présence physique de l’artiste la plus grande portion de cette espace.
L’artiste ne s’arrête pas, ne contemple pas, ne découvre pas l’espace, il semble mû par l’urgence vaine et désespérée d’être là, en tous points du lieu.

Les artistes dits arpenteurs explorent diverses formes de déplacement et questionnent cette relation du corps à l’espace. Richard Long, par exemple, dans les années 60, photographie les traces de son passage dans des sites naturels (prairies, champs enneigés ...), il trace dans le paysage ce qu’on appelle plus communément des «chemins du désir».  Ces représentations proposent un rapport apaisé au monde, le paysage accueille de manière temporaire le corps de l’artiste qui laisse une marque réversible sur celui-ci. L’œuvre de Richard Long atteste d’une possibilité de relation avec le paysage, d’une accroche possible, d’un échange équilibré avec le monde.

Ce qui diffère dans le film « Courir Niemeyer », c’est que l’artiste court. Il court à en perdre haleine, jusqu’à l’épuisement. 
Courir c’est vouloir atteindre rapidement  un objectif, c’est éventuellement fuir, c’est consacrer une intense énergie au déplacement, la course ne vaut généralement pas pour elle-même, elle est le moyen d’atteindre un ailleurs.

Là, la course est vaine, pas de but à atteindre si ce n’est d’arpenter le lieu, de long en large. Cette course démontre l’impossibilité de point de contact, l’absence de prise sur le site.
Au-delà, de la portée politique du contexte présenté, c’est cette simplicité de l’acte de courir, cette insignifiance du corps par rapport à ce vaste espace et plus largement au monde qui rend le film poignant.



Texte de