mardi 17 juillet 2012

L'effilochage du large






Le soleil ne s’était pas encore levé. La mer ne se distinguait pas du ciel, sauf que la mer se plissait légèrement comme si une étoffe avait des rides. Progressivement, à mesure que le ciel blanchissait, une ligne sombre marqua l’horizon qui séparait le ciel de la mer et l’étoffe grise se barra de traits épais qui se déplaçaient, les uns après les autres, sous la surface, se suivaient, se poursuivaient, perpétuellement.
A mesure qu’elle approchait du rivage chaque barre se soulevait, s’enflait, se brisait et balayait un fin voile d’eau blanche sur le sable. La vague s’arrêtait, et puis se retirait à nouveau, soupirant comme un dormeur dont le souffle va et vient inconsciemment. Progressivement la barre sombre sur l’horizon se fit claire comme si au fond d’une vieille bouteille de vin les sédiments s’étaient déposés, et avaient laissé du vert sur les parois. Derrière elle, aussi, le ciel s’éclaircissait comme si là-bas les sédiments blancs s’étaient déposés, ou comme si le bras d’une femme allongée sous l’horizon avait levé une lampe (…) puis elle leva sa lampe un peu plus haut et l’air sembla devenir fibreux et s’arracher à la verte surface voltigeant et flambant en fibres jaunes et rouges comme les flammes fumantes d’un feu de joie. Progressivement les fibres enflammées du feu de joie se fondirent en une seule nuée, une seule incandescence qui souleva la laine lourde et grise du ciel au-dessus d’elle et la transforma en un million d’atomes bleus tendres.


Virginia Woolf, Les vagues, 1931
 



Photos de paysages marins d'Hiroshi Sugimoto